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Reasonable Drought, un album par Stove God Cooks
La première fois que j’entends vraiment Stove God Cooks sur Kitchen Lights en feat avec Westside Gunn en 2023, je suis mitigé. En effet, son refrain (mal) chanté sans autotune est très douloureux à entendre. Puis le 14 février 2025, Westside Gunn sort un nouvel album intitulé 12. Je me lance dans l’écoute sans trop d’attentes ayant été déçu par les précédentes sorties du patron de Griselda Records. Mais dès le morceau Boswell en featuring avec Stove God Cooks et Estee Nack, je vois la lumière de Poêle Dieu Cuisine (traduction littéral du pseudonyme d’Aaron Cooks). Une présence et un charisme au micro inoubliable. Le summum de l’album est le son Veert où le protégé de Roc Marciano entre sur son couplet en annonçant son retour avant d’enchaîner punchline sur punchline. Après avoir entendu cette performance XXL, je me devais d’aller écouter son premier album intitulé Reasonable Drought.
Stove God Cooks a débuté timidement le rap au milieu des années 2010 sous le pseudonyme Aaron Cooks. C’est la légende new-yorkaise Busta Rhymes qui l’a répéré le signant instantanément dans son label. Puis, à part quelques morceaux et freestyles envoyés de temps à autres notamment sur l’album Marcielago de Roc Marciano, il se fait discret. Puis en 2020, c’est l’heure de la consécration pour le rappeur de Syracuse (État de New York). Il sort son premier album Reasonable Drought sans aucun featuring et produit sans aucune percussions (drumless) entièrement par Roc Marciano. Depuis, il n’a sorti aucun projet mais Stove God Cooks est apparu sur une vingtaine de collaborations avec des artistes du label Griselda Records sur lequel il est signé. Un premier album dont le titre n’est pas sans rappeler Reasonable Doubt de Jay-Z avec lequel il fait un jeu de mot astucieux.
You know the cocaine lexicon is extra long
Stove God Cooks sur Boswell
La phrase ci-dessus saisit l’essence même de la musique de Stove God Cooks, celui qui se nomme le dieu du poêle cuisine en référence non pas à la gastronomie mais bien à la cuisson de diverses drogues. Une pratique qu’il maîtrise si bien qu’il en est le dieu. Le coke rap est un sous-genre qui se caractérise par un thème récurrent et parfois redondant : la fabrication et la vente de cocaïne. Mais le rappeur de Syracuse a réussi à trouver la formule gagnante pour parler de ce thème sans copier les MCs du coke rap laissant son empreinte dans ce genre. Grâce à une signature vocale unique, des paroles acérés sur son mode de vie assaisonnées d’une pointe d’humour et des phrases chantées d’inspiration soul et gospel, il marque l’industrie musicale de sa singularité artistique.
Stove God Cooks est originaire de Syracuse dans l’État de New-York, un état qui ne compte aucun rappeurs connus, une difficulté que le poulain de Roc Marciano a su surmonter. Reasonable Drought s’ouvre sur Rolls Royce Break Light. Commençant en douceur, Stove God Cooks chantonne comme un mantra I just wanna be successful et d’un coup sec, un changement de prods s’opère et la magie prend. Le rappeur de l’État de New-York enchaîne phrase sur phrase choquantes avec un flow cadencé. Il incarne ses paroles avec une aura de révérend. Une opposition très intéressante entre la drogue qui est dévastatrice et dieu qui est sensée faire le bien.
The Stove God, that walk on coke water
Stove God Cooks sur Rolls Royce Break Lights
Mais cette vision manichéenne est loin d’être celle de Stove God Cooks. Dans son univers, il s’amuse à sacraliser la cocaïne. Il se moque de cette opposition et se présente volontiers comme un Dieu ou un révérend qui vient prêcher son rap et son savoir-faire de dealer. C’est ce qui détonne de ce coke rap. Souvent, certains expriment les doutes sur leur mode de vie malsain de dealer qui n’a, en général, que deux issues : la prison ou la mort. Stove God Cooks est loin de cet dilemme. Lui se vante des kilos qu’il revend et des nouvelles pièces de mode qu’il a achetées. Aaron Cooks de son ancien nom d’artiste semble hors sol (ce qui revient à cet aspect divin qu’il cherche à se donner).
I sold a brick out the church parking lot, hallelujah
Stove God Cooks sur Bread of life
La cocaïne est le thème principal de l’album qui s’inscrit dans le sous-genre du coke rap mais qui détonne par son humour et son détachement par rapport au quotidien de dealer. L’humour est un point central de sa musique comme sur la punchline ci-dessous. Mais cet humour ne vient jamais seul: par exemple, il compare la cocaïne à un sachet d’assaisonnement pour nouilles, au chanteur de RnB blanc Jon B. Voilà une phrase absurde où Stove God Cooks parle de son propre fossile mais qui aurait le logo Versacce tellement il est riche. Cet humour et détachement transparaît à travers l’entièreté de l’album. Il sert un message qui consiste à rabaisser la concurrence en s’élevant lui-même au rang de riche star avec des biens matériels illimités. Des phrases et métaphores abstraites qui ne laissent peu de détails sur la vraie vie de l’artiste.
A fossil of me is just a skeleton with Versace print
Stove God Cooks sur John $tarks
Le seul titre un peu ovni de l’album est Gloria Blemente. Un titre très court où il déclare sa flamme à une femme sur une boucle de guitare groovy et un peu reggae. Des paroles pas très finaudes mais qui en disent un plus sur Stove God Cooks et son rapport à l’amour (plutôt charnel que romantique visiblement).
Cet album est un véritable bijou de l’underground. Un 11 titres qui s’écoute facilement. Des productions drumless à la hauteur des flows énergiques et parfois chantés de Stove God Cooks. Malgré quelques phrases absurdes et parfois inutiles, le rappeur de Syracuse délivre un premier projet pratiquement parfait. La diversité d’instrumentales et d’interprétations rendent l’album agréable à l’écoute et pas du tout ennuyant. L’artiste de Griselda Records excelle dans son registre et semble avoir un lexique illimité de métaphores pour parler de la drogue. L’absurdité avec laquelle il parle de substances illicites et de lui comme s’ils étaient des figures divines sont une manière éthiquement douteuse de mentionner un sujet délicat. Mais c’est un point de vue humoristique et non pas une prise de position réaliste de la part de Stove God Cooks. Les sons à écouter : Rolls Royce Break Lights, Crosses, Bread of Life, Burt & State et Cocaine Cologne.
Une critique par Augustin Pelot
Twenty Twenty-Five
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